Depuis quelques années et de façon récurrente, le gel des vignes s’invite à la une des médias. Le gel de printemps a toujours existé, mais le changement climatique et le développement toujours plus précoce des vignes sont une réelle source de stress pour les vignerons, à juste titre. Le gel, bien qu’il soit nécessaire au cycle de la vigne, peut être destructeur lorsqu’il survient au mauvais moment. De nombreuses solutions existent, plus ou moins efficaces selon le type de gelées.
Retrouvez dans cet article, toutes les informations nécessaires pour comprendre cette problématique qu’est le gel !
Le gel dans les vignes a toujours existé, pourquoi est-ce un problème ?
Le gel n’est pas une nouveauté dans nos régions, mais d’année en année, ce dernier fait toujours plus de dégâts. Pourquoi ? La fin de l’hiver et le début du printemps connaissent des températures en hausse, ce qui a pour conséquence de faire débuter le cycle végétatif de la vigne plus tôt. Ainsi lorsque le gel sévit dans ses périodes habituelles (au mois d’avril par exemple), la vigne est plus vulnérable car cette dernière est sortie de son sommeil protecteur.
Quel est l’impact du gel sur les raisins ?
Le gel de printemps survient au moment où les raisins ne sont pas formés. Il impacte les bourgeons et donc compromet la formation du raisin. Lorsque les températures baissent rapidement et atteignent le point de congélation, de la glace se forme à l’intérieur des tissus et des cellules ce qui a pour effet de « brûler » le bourgeon de l’intérieur.
Lorsque des cristaux de glace se forment sur les bourgeons, les premiers rayons de soleil sont aussi un danger. L’effet loupe de la glace a également pour conséquence de brûler le bourgeon.
Les différentes saisons et les risques de gel
Le risque de gel n’est pas réservé qu’à une saison, les vignes peuvent être touchées plusieurs fois dans l’année.
L’automne
Bien que peu fréquent, le gel d’automne peut remettre en cause les vendanges de l’année suivante. Ce gel est dit précoce et a pour effet d’accélérer la mise en dormance de la vigne. Cela a pour conséquence d’affaiblir la vigne qui n’aura pas accumulé assez d’énergie pour mener à bien son futur cycle végétatif.
L’hiver
La saison qui connait le plus de températures négatives est l’hiver. Il gèle régulièrement sur bon nombre de régions viticoles sans que cela ne porte préjudice à la récolte annuelle. La vigne est protégée puisqu’elle est en dormance. Si bourgeon il y a, il est protégé par des écailles qui empêchent le gel de lui porter atteinte. En règle générale, en France, les dégâts liés au gel hivernal sont peu fréquents.
Le gel d’hiver peut être problématique et entraîner des conséquences graves si les températures atteignent des niveaux extrêmement bas (en deçà de -15 degrés Celsius) de manière précipitée ou bien après un redoux. Cette situation peut être fatale pour la souche de la vigne et ainsi remettre en cause plusieurs années de récolte. Le cep est alors gelé en profondeur entrainant la mort de la plante. Dans les régions du monde les plus froides, le buttage des pieds de vigne est nécessaire. Cette pratique consiste à ramener la terre sur la base des ceps pour les protéger du froid.
Le gel en hiver est nécessaire au bon déroulement du cycle de la vigne. En effet, il permet d’éliminer les nuisibles et les maladies. L’eau gelée dans les sols permet également de les aérer et de faciliter la progression des racines dans la terre.
Le printemps
Depuis quelques années, les épisodes de gel printanier inquiètent le monde viticole. Pour comprendre la problématique, il faut s’intéresser au cycle de la vigne. Après la dormance hivernale, l’adoucissement des températures est le top départ pour que la vigne commence son cycle végétatif. Après la dormance vient le débourrement. La phase de débourrement signifie que les écailles protectrices du bourgeon s’écartent pour laisser apparaitre la bourre (également appelée la jeune pousse). C’est de cette jeune pousse que sortiront les feuilles, puis les inflorescences qui donneront à leur tour naissance aux futurs fruits. Vous l’aurez donc compris, s’il arrive quelque chose aux bourgeons, aucun fruit ne pourra être récolté.
Depuis plusieurs années, fin mars/début avril, on enregistre des températures moyennes au-delà de 10 degrés Celsius. Ces températures douces durent plusieurs jours annonçant l’arrivée des beaux jours ce qui fait sortir les vignes de leur sommeil. Lorsqu’après ce redoux, début avril, les températures chutent à nouveau en dessous de zéro degré, le cycle de vie des végétaux peut être stoppé net. Les bourgeons et les jeunes pousses ne sont plus protégés et sont des proies faciles face au redoutable gel.
Les différents types de gel dans les vignes
On parle de gel dès que les températures descendent en dessous de zéro degré Celsius. Il existe plusieurs types de gel, plus ou moins dommageables.
Le gel advectif
C’est le gel advectif qui a occasionné de gros dégâts en Bourgogne, en 2021. Ce type de gel est lié au passage de grandes masses d’air froid et de forts vents. Le froid reste « bloqué » en bas, vers les pieds de vigne. Il est très difficile de lutter contre ce gel. Les vents forts empêchent l’utilisation de bon nombre de solutions antigel, les températures sont très froides et les destructions sont souvent globales.
Le gel radiatif
Ce gel concerne les sols et leur refroidissement pendant la nuit. En pleine journée, les sols accumulent de la chaleur et la perdent tout au long de la nuit. Deux types de gelées peuvent en résulter, en fonction du taux d’humidité dans l’air.
Les gelées blanches
Les gelées blanches recouvrent les vignes d’un manteau blanc : le givre. Ce givre apparait lorsqu’il y a un fort taux d’humidité dans l’air. Ce type de gelée ne représente pas un risque vital pour la vigne puisque les températures restent proches de zéro. L’humidité et donc la glace qui peut en résulter peut même venir protéger les bourgeons.
Les gelées noires
A l’inverse des gelées blanches, les gelées noires peuvent être très préjudiciables pour la vigne. Lorsque l’air est sec et froid il pénètre directement au cœur de la plante et peut causer de gros dégâts internes. Cela peut conduire à la nécrose de la vigne et donc à la mort de la plante.
Les moyens de protection des vignes contre le gel
Parmi les moyens de protection contre le gel, il existe des solutions actives et des solutions passives.
La lutte active contre le gel
La lutte active consiste à combattre le gel avec des moyens extérieurs.
Les bougies
Les images des vignobles éclairés par des bougies ont fait le tour du monde après les fortes gelées de 2021.
Cette technique consiste à disposer, à intervalle régulier, des bougies présentées sous forme de seaux remplis d’environ 6 litres de paraffine. Allumées avant le lever du soleil, ces bougies peuvent brûler plusieurs heures et permettent de réchauffer l’air froid qui stagne au sol. Les températures peuvent alors gagner 2 à 3 degrés Celsius.
Il existe plusieurs inconvénients à cette technique. Le premier est le coût puisqu’entre 200 et 400 bougies peuvent être nécessaires par hectare, ce qui représente un budget pouvant grimper jusqu’à 2500 euros par hectare et par nuit. L’utilisation intensive de ces bougies lors des épisodes de gel dégage également un épais nuage noir. On trouve maintenant des bougies à base de cire végétale, mais pour des raisons économiques, la paraffine est encore privilégiée par bon nombre de viticulteurs. Cette solution demande du temps et de la main d’œuvre entre la mise en place, l’allumage, l’extinction, le remplacement et l’enlèvement des bougies.
Les chaufferettes à bois
Pour éviter le dégagement de fumées noires et obtenir des résultats similaires aux bougies, il existe des chaufferettes à bois. Ces petits braséros réchauffent l’air autour des vignes grâce à la combustion de granulés. Comme les bougies, il faut les disposer à intervalle régulier (200 à 250 chaufferettes par hectare).
L’aspersion
L’aspersion est l’un des moyens de lutte contre le gel le plus efficace (jusqu’à des températures ne dépassant pas -7°C). Cette technique consiste à asperger les vignes d’eau. Avec les températures négatives, l’eau va geler et ainsi former une coque de protection autour de la vigne et notamment des bourgeons. Cela peut paraitre contre intuitif, mais la glace est un bon moyen de lutter contre le gel !
En se transformant en glace, l’eau va produire de l’énergie et donc de la chaleur. Cette chaleur va permettre aux bourgeons de garder une température de zéro degré et ainsi de survivre aux températures négatives.
L’un des inconvénients de cette méthode est l’importante consommation d’eau qui nécessite d’avoir de grandes réserves ou une source à proximité. En effet, l’aspersion doit se faire en continu jusqu’au retour des températures positives. La mise en place du système est également très coûteuse, le budget peut aller de 7000 à 20 000€ par hectare.
Les hélicoptères
Lors des épisodes de gelées printanières de 2021, vous avez surement vu passer des photos d’hélicoptère survolant les vignes à très basse altitude. Les hélicoptères, avec la puissance de leurs pales, peuvent brasser d’importantes quantités d’air rapidement. L’air chaud présent au-dessus des vignes est alors mélangé à l’air froid stagnant au sol ce qui a pour effet de réchauffer les ceps et d’éviter le gel.
Cette méthode est efficace mais très coûteuse (comptez environ 200 euros par hectare et par heure). Il arrive que plusieurs vignerons ayant des parcelles voisines, louent ensemble les services d’un pilote pour réduire les coûts. Pour les autres inconvénients, l’hélicoptère ne peut pas sortir avant le lever du jour pour des raisons de sécurité, le gel peut donc déjà avoir sévi. Enfin, cette méthode ne peut pas être utilisée contre le gel d’advection (qui implique de forts vents).
Les éoliennes ou tours anti-gel
Tout comme les hélicoptères, les éoliennes permettent de brasser l’air chaud et l’air froid. Cette action a pour résultat de réchauffer les vignes et de limiter les dégâts causés par le gel.
Moins dispendieuses que les hélicoptères, elles sont efficaces lorsque le gel n’est pas accompagné de vent, pour les gelées blanches notamment.
Jean Baptiste Duquesne, vigneron à Bordeaux (Château Cazebonne) témoigne : « Cette année j’ai fait l’acquisition d’éoliennes, qui en brassant l’air vont le réchauffer. Je n’ai pas pu les utiliser début avril puisque je n’avais pas prévu qu’il gèle si tôt. L’année dernière il a gelé le 8 avril, cette année il a gelé le 4 avril … Ce ventilateur est télescopique, il est alimenté par la prise hydraulique du tracteur. On chauffe de l’air qui est ensuite pulvérisé par le ventilateur. Cette méthode permet de couvrir environ 2 hectares ».
Les câbles chauffants
Cette technique consiste à faire courir un câble chauffant le long des fils de palissage, pour réchauffer l’air autour des baguettes. La température du câble peut monter jusqu’à 40°C, permettant ainsi de réchauffer les vignes et de lutter contre un gel allant jusqu’à -9°C.
Cette solution nécessite un accès à l’électricité ce qui peut compliquer son installation sur certaines parcelles. La mise en place du système est également coûteuse, le budget varie de 5 euros à 12 euros le mètre linéaire (soit de 15 000 à 40 000€ par hectare, hors budget électricité).
Le voilage des vignes
Le voilage des vignes consiste à les couvrir pour les protéger du gel, en permettant de gagner quelques degrés par rapport à la température extérieure.
Jean-Baptiste Duquesne nous explique : « J’aimerais investiguer et essayer de mettre des voiles de maraichage. Ce sont des films de protection que l’on utilise au sol pour éviter que les plantes ne gèlent. Ce film blanc garde la chaleur du sol (plus 4 degrés par rapport à la température extérieure). J’aimerais recouvrir mes vignes sur certaines parcelles. Mais cette technique présente certains inconvénients, la mise en place peut être compliquée, surtout sur des grandes surfaces de vignes comme à Bordeaux. Il ne faut pas non plus que le voilage s’envole avec le vent ».
Vous l’aurez compris avec cette longue liste, il existe une multitude de méthodes permettant de combattre le gel. En règle générale ces moyens de lutte active sont assez coûteux et leur efficacité n’est pas toujours optimale. Il peut être intéressant d’investiguer d’autres solutions comme les moyens de lutte passive.
La lutte passive pour anticiper le gel des vignes
La lutte passive contre le gel permet de prévenir les dégâts en prenant en compte le risque de gel dès la plantation de la vigne. Après plusieurs années de faibles récoltes, Jean-Baptiste Duquesne explore d’autres méthodes pour préserver ses rendements.
« Il me restait quelques bougies à la suite de l’épisode de gel de l’année dernière, je n’en ai pas racheté cette année puisque c’est très couteux. La première chose qui fonctionne et que j’ai investigué cette année, c’est la stratégie de taille de la vigne. J’ai pu sauver environ une demi-récolte grâce à cela », raconte Jean-Baptiste.
La taille des vignes
« Le principe est simple. Le sarment de vigne est une liane. Historiquement c’est une plante qui pousse sous les bois. Son objectif est donc de monter à la canopée pour survivre. Cette liane va faire sortir les bourgeons à ses extrémités. Si vous laissez un sarment non taillé et que vous voulez faire votre récolte sur la partie basse du sarment (en direction de la souche), la liane va commencer par faire sortir les bourgeons vers son extrémité, et non, là où vous souhaitez récolter.
Il faut donc laisser pousser la vigne, tailler les sarments assez hauts et attendre qu’il gèle. Une fois les deux ou trois nuits de gel passées, on taille la partie avec les bourgeons gelés et on repart plus bas, là où l’on souhaite récolter. La taille se fait donc en deux fois et de cette façon, on laisse en quelques sortes, à manger au gel ».
Selon Jean-Baptiste Duquesne, ce n’est pas une stratégie parfaite puisque cela fatigue la vigne. « Pour imager, on peut illustrer la vigne comme étant une batterie. L’hiver, cette batterie a des réserves d’amidon qui vont permettent à la vigne de pousser et de faire sortir les bourgeons. Une fois les bourgeons sortis, la vigne n’a plus beaucoup d’énergie et elle recharge ses batteries grâce à la photosynthèse (les feuilles qui sortent des bourgeons transforment l’énergie lumineuse en énergie pour la vigne). Au moment de la taille, il n’y a pas encore de feuille et donc l’énergie en réserve est vite épuisée. Tailler en deux fois, fatigue la vigne en pompant l’énergie de cette dernière. Mais nous n’avons pas le choix, si on ne le fait pas, on risque de perdre la majorité voire la totalité de la récolte chaque année ».
La plantation de cépages plus résistants au gel
Jean-Baptiste Duquesne est un vigneron qui a pour particularité de cultiver des cépages oubliés de Bordeaux. Il nous explique comment ces cépages peuvent être une solution (parmi d’autres) pour accompagner le changement climatique. « Outre les méthodes actives, il faut aussi chercher dans d’autres domaines, comme replanter des cépages qui peuvent apporter des solutions. Il y avait autrefois jusqu’à une centaine de cépages à Bordeaux. Le vigneron était comme un peintre avec une palette de cent couleurs. Avec le temps, les vins de Bordeaux se sont contentés d’utiliser les trois couleurs élémentaires. Je trouve ça dommage, il y a un territoire de nouveaux goûts, de nouvelles aromatiques, il y a des cépages plus précoces, des cépages plus tardifs qui vont résister au gel, à la sècheresse, à certaines maladies etc. Ces cépages ne sont pas « l’avenir » de Bordeaux, mais c’est un avenir pour Bordeaux.
Par exemple j’ai planté un cépage qui s’appelle le jurançon noir. L’année dernière j’ai perdu 90 à 95% de ma récolte à cause du gel. Le jurançon noir lui, m’a donné une demi-récolte après le gel. Autrefois, les climats au 19ème siècle étaient plus gélifs, mais les cépages comme jurançon noir apportaient des solutions aux vignerons. Avec le temps, on a décidé de prioriser certains critères comme le rendement, la qualité, la plasticité des cépages, et ces choix doivent peut-être être remis en cause pour investiguer de nouvelles solutions. Le climat change et il change très vite. Les appellations ne bougent pas assez vite et j’ai envie de remuer la table et de changer les choses. Après tout, pourquoi pas essayer ! ».
Conclusion
Le gel dans les vignes a toujours existé et il existera toujours. De multiples solutions existent et la combinaison de plusieurs d’entre elles peut permettre de sauver une partie des récoltes. Cependant, des années successives de lutte acharnée contre des épisodes de gel tardifs et des débourrements de plus en plus précoces, à coup de moyens parfois très dispendieux et sans réelle efficacité fatiguent la filière. Peut-être est venu le temps de casser les codes et d’investiguer d’autres solutions pour sauver la viticulture de demain !