A l’occasion de la journée mondiale du braille le 4 janvier, nous nous sommes penchés sur un sujet dont on parle peu… En effet, vous êtes-vous un jour posé la question de savoir comment une personne aveugle, ou mal voyante, faisait pour choisir ou reconnaître un vin ? Il y a tellement de vins différents qu’il est indispensable de pouvoir les différencier et les identifier. Certains vignerons ont donc décidé d’inclure sur leurs étiquettes ces informations en braille, pour permettre aux personnes mal-voyantes d’avoir accès facilement aux caractéristiques du vin. C’est le cas notamment de la Maison Chapoutier qui répond aux questions d’Aveine.
L’invention du braille
L’inventeur du Braille n’est autre que Louis Braille, devenu aveugle à 3 ans suite à un accident domestique. Lors de son intégration à l’Institution Royale des Jeunes Aveugles, en 1819, il apprend la lecture et l’écriture via des caractères romains en relief, selon la méthode de Valentin Haüy, son inventeur. Cependant, cette méthode est assez limitée dans sa pratique.
Après des années de travail, Louis Braille perfectionne donc les méthodes qui étaient jusque-là utilisées et invente le Braille. Il sort en 1829 la première version de sa méthode, ou chaque lettre, chiffre, ponctuation et symbole à un équivalent en braille.
Anecdote assez amusante, quant à notre sujet du jour : le père de louis Braille possédait des vignes à Coupvray, en Seine-et-Marne, son village d’origine.
Pourquoi et comment mettre du braille sur les bouteilles de vin ?
Utilité
Le but est évident : faciliter le quotidien des amateurs de vin non-voyants. Un vin se découvre avec tous les sens, mais on sous-estime bien trop souvent le choix orienté par le visuel de l’étiquette, le nom du vin, les cépages utilisés, la forme de la bouteille (indice quant à la région de production). Les étiquettes de bouteilles de vin en braille sont donc d’une grande aide pour mieux les identifier, les classer ou les choisir, et surtout pour pouvoir faire tout cela seul.
Elles permettent d’avoir accès à toutes les informations essentielles en les effleurant du bout des doigts : nom de la cuvée, du domaine, appellation, couleur, cépage, millésime, ou encore titrage en alcool.
Contraintes
Cependant, le cycle de vie d’une bouteille de vin est un long processus, de la mise en bouteille jusqu’à la dégustation. En effet, l’étiquette d’une bouteille de vin est parfois malmenée, passant dans l’eau, au frais, ou tout simplement usée par le frottement au sein de son carton. Ces étiquettes en braille doivent être résistantes autant à la poussière des caves qu’à l’humidité des réfrigérateurs. On peut donc se demander comment les étiquettes en braille résistent au temps ?
Les principales contraintes de l’utilisation du braille sur les étiquettes sont l’impression des lettres en relief, ce qui impose l’utilisation d’un papier de qualité spéciale. Les caractères doivent avoir une dimension minimum et le positionnement des bouteilles dans les cartons doit être tel que l’impression en relief ne soit pas écrasée.
Deux techniques d’impression sont utilisées : l’impression par embossage qui produit un relief par effet de pression, et la sérigraphie par dépôt de résine qui appose une encre transparente gonflant ensuite. Le coût est estimé à 12 centimes par étiquette. Aujourd’hui, ces techniques permettent aux étiquettes en braille de résister à tous les chocs, et de rester lisibles.
Les étiquettes de vin en braille : l’exemple de la Maison Chapoutier
Aujourd’hui encore, très peu de vignerons ont sauté le pas. Et la maison la plus emblématique quant à l’intégration du braille sur ses bouteilles de vins est la maison Chapoutier, située dans la vallée du Rhône au sud de Lyon. En effet, le négociant a cette démarche sur tous ses vins, depuis 1996.
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Valentin Fontenit, Directeur des ventes France chez Chapoutier, a accepté de nous en dire plus sur cette démarche.
Aveine : Depuis quand avez-vous décidé de permettre aux personnes atteintes de cécité de pouvoir lire vos étiquettes ?
V. Fontenit : Depuis 1996. Nous sommes parmi les premiers à le faire, et nous sommes fiers de cela.
Aveine : Pourquoi cette démarche ?
V. Fontenit : A l’origine, c’était pour rendre hommage à la famille Monier de la Sizeranne, ayant un fils aveugle. Maurice, le père, ayant co-inventé la première version abrégée du Braille, possédait des terres à Hermitage. Aujourd’hui, ces terres appartiennent à Chapoutier, et c’est une façon de leur rendre hommage. La tradition a ensuite perduré, et c’est une cause qui tient à cœur à la famille Chapoutier.
Aveine : Pensez-vous que cela augmente vos ventes ?
V. Fontenit : Non, je pense qu’au niveau des ventes c’est assez anecdotique. En revanche, c’est plutôt bien perçu, et les gens en parlent. Cela fait partie de l’image de marque de Chapoutier.
Aveine : Quelles sont les contraintes liées à ce type d’étiquetage ?
V. Fontenit : Notre processus est maintenant bien en place, et nous disposons d’un savoir-faire dans ce domaine depuis 20 ans. La principale contrainte est le surcoût, qui, par rapport à une étiquette normale, est de l’ordre de 15 à 20 cents chez nous.
Aveine : Menez-vous d’autres actions pour cette cause ?
V. Fontenit : Comme je vous le disais, c’est une cause qui tient beaucoup à cœur à la famille Chapoutier. Nous faisons parfois des opérations commerciales, ou une part du chiffre d’affaire est reversée à des associations, ou sert au financement de chiens guides d’aveugles. C’est une démarche globale que nous faisons régulièrement.
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La traduction et la création des étiquettes ont demandé à l’époque plus d’un an de recherches et de travaux. Aujourd’hui, c’est l’association Valentin Haüy qui aide Chapoutier dans sa démarche. Elle valide et corrige tous les prototypes d’étiquettes, pour chacune des nouvelles références du négociant. Pour des soucis de place, Chapoutier a décidé d’indiquer en braille les informations suivantes : nom du vin, appellation millésime et couleur. Avec Chapoutier, c’est donc près de 10 millions de bouteilles par ans qui sont produites et vendues avec une étiquette en braille.