Sulfites, SO2… Dossier complet sur le soufre dans le vin.

Nous avons choisi d’aborder un thème qui a beaucoup fait parler dans le monde du vin : le soufre. Ce dossier nous permettra de faire le point sur les connaissances en matière de soufre dont l’ajout est constant pour la quasi-totalité des vins et la présence générale du fait de sa formation spontanée lors des fermentations alcooliques.

Nous aborderons le sujet du côté scientifique pour essayer de comprendre ce qu’est le soufre, et quel est son intérêt dans la production de vin. Nous verrons ensuite l’importance du travail du vigneron et du terroir dans la présence de soufre dans le vin. Pour finir, nous verrons ses effets sur la santé.

Depuis quand on utilise le soufre dans le vin ?

Sulfure de carbone

Pour commencer, penchons-nous un instant sur l’Histoire, en quelques dates :

800 AV J.-C. La plus ancienne référence à l’usage de soufre comme désinfectant date de l’Odyssée lorsqu’Homère, ayant tué ses rivaux, exige que du soufre soit brûlé pour désinfecter la maison dans laquelle ils ont vécu.  [1]

1487 : L’usage du SO2 est attesté en Œnologie par sa présence dans un décret royal prussien. Puis régulièrement en Europe (1600 – O. de Serres, 1765 « allumette hollandaise » à Bordeaux – Pijassou).

Début XIX° siècle, à une époque où on ignore tout des levures, bactéries et de la chimie, on utilise le SO2 pour bloquer des fermentations, lutter contre les altérations, prévenir l’évent (Bidet-1759)…

Début XX° siècle, on explicite les activités du SO2 sur les micro-organismes, les enzymes (Bouffard-1889) ainsi que les premiers mécanismes d’inactivation par combinaison (Schmidt-1893, Rocques –1897, Kerp-1904).

En 1914 on connaît la plupart des techniques de sulfitage (mèche, gaz, solutions, sulfiteurs divers…) par Jacquemin (1900), Coste-Floret (1903), Laborde (1908)…

Dans le même temps, dès 1895, les réglementations fixent les premières teneurs limites du soufre dans le vin.

Quand on parle de soufre, on parle de quel composé chimique ?

Faussement appelés « soufre », SO2, sulfites, anhydride sulfureux ou acide sulfureux, les composés soufrés sont une famille de composants présents naturellement ou non dans le vin. Utilisés depuis des siècles pour la fabrication des vins puis dans la quasi-totalité des produits alimentaires industriels, ils sont désormais un sujet de questionnement d’un point de vue sanitaire.

Le soufre c’est quoi ?

Le soufre à proprement parler (élément chimique de numéro atomique 16, de symbole S), est utilisé en viticulture depuis 1829 aux Etats-Unis et 1850 en France pour lutter contre des maladies de la vigne, notamment l’oïdium et de façon plus limitée l’excoriose, l’acariose, l’érinose…

L’usage continu à forte dose pendant plus d’un siècle, a entraîné une acidification des sols pouvant devenir gênante en sols non calcaires, pauvres en argile… Cependant, la présence de soufre dans les moûts et le vin, comme résidu de traitements fongicides, est très faible ou nulle.

Et les composés soufrés ?

Associé à d’autres éléments comme l’oxygène ou le sodium, le soufre est présent dans de plusieurs composés minéraux et organiques. Moûts et vins ne contiennent que certaines formes dont la présence à faible dose joue un rôle organoleptique, positif ou négatif, très important.

Il existe aussi des composés soufrés organiques qui proviennent du travail œnologique. Ils sont présents à doses très faibles (quelques nanogrammes à quelques microgrammes par litre). Parmi eux on retrouve les composés liés aux cépages, ceux liés à la fermentation ou encore ceux liés à l’élevage.

Les arômes variétaux soufrés

Ils participent à l’arôme caractéristique des différents cépages et sont souvent à l’origine des arômes de « buis, genêt, etc. » plus ou moins agréables mais aussi « d’agrume, fruit exotique… » plus plaisants. Ces composés variétaux sont présents naturellement dans le raisin et le moût sous forme de précurseurs non odorants.

Principe des précurseurs soufrés : l’exemple du sauvignon
Le raisin de Sauvignon est peu typé. Mais en cas de mastication de la pellicule du raisin pendant quelques secondes, les enzymes salivaires vont libérer des composés odorants. C’est ce même phénomène qui apparaît au cours de la fermentation alcoolique par les levures.

Ces arômes variétaux sont fragiles. Ils sont très sensibles à la présence de cuivre sur la vigne et les raisins (Les traitements phytosanitaires sont à prohiber). Ils sont également très sensibles aux oxydations excessives par mélange avec des composés très oxydés, telles les fins de pressurage des vins blancs.

Les composés fermentaires soufrés

La fermentation entraîne la formation de composés soufrés plus ou moins volatils, à partir des acides aminés du raisin ainsi que des additifs soufrés (pesticides par ex.). Il sont généralement très odorants (œuf pourri, chou, ail…) et responsables de l’ »odeur de réduit ». Une partie importante est entraînée par le gaz carbonique de fermentation. Mais le reste demeure dans le vin et participe à l’arôme général.

Ces composés sont réducteurs et disparaissent en présence d’air (Ex : soutirages à l’air, injection d’oxygène…). Ils sont donc plus abondants en présence des lies (qui consomment l’oxygène).

Dès la fermentation une surveillance accrue, surtout pour les vins jeunes, est nécessaire pour intervenir avant l’apparition d’odeurs tenaces dues à des composés peu volatils. A l’inverse, des aérations trop poussées sont défavorables au maintien et au bon développement des arômes de type fruité.

Les composés soufrés d’ »élevage »

Discrets, et mal identifiés, les arômes d’élevage sont plus intenses. On y trouve quelques composés « soufrés » participant aux odeurs de « grillé » généralement appréciées.

Quel est l’intérêt du soufre ? Quelles sont ses propriétés ?

Au-delà de leur présence naturelle dans le vin ainsi que dans d’autres produits agro-alimentaires, si les composés soufrés (notamment le soufre) sont autant utilisés, c’est que leurs propriétés uniques en font un élément essentiel du vin auquel aucun additif œnologique ne peut aujourd’hui se substituer entièrement.

Antiseptiques

Le SO2 pénètre rapidement dans les cellules et perturbe leur développement, leur croissance, leur multiplication ou entraîne la mort cellulaire. Cette diversité des mécanismes bactéricide explique sa polyvalence et l’absence de souches résistantes.

Antioxydants

Depuis plus d’un siècle le soufre (SO2) est utilisé pour protéger les moûts et le vin vis à vis de l’oxydation en consommant l’oxygène libre en présence. Cependant cette consommation peut être accélérée (par la présence de composés phénoliques, fer, cuivre) ou ralentie (par la présence d’’éthanol, glycérol, acides organiques, …).

Protecteur des arômes

Les composés aromatiques variétaux, très sensibles à l’oxydation, sont protégés par le sulfitage et dégradés par l’hyperoxygénation.

Antioxydasiques

L’action protectrice du soufre vis à vis des moûts et du vin issus de raisins pourris est une des fonctions les plus importantes et la plus difficilement remplaçable. Le SO2 inhibe spécifiquement l’oxydase des raisins (enzyme oxydante) et n’impacte pas celle produite par Botrytis cinerea (champignon responsable de la pourriture noble).

Désatureur de couleur

Les composés soufrés réduisent les composants oxydatifs bruns et changent la structure des anthocyanes amenant une décoloration directement observable sur les moûts et vins. Cet effet est progressif et réversible.

Extracteur de couleur

Le sulfitage des vendanges accélère la destruction des parois cellulaires des pellicules des raisins et la libération des anthocyanes. Le moût, puis le vin, est plus coloré. On parle alors de « macération sulfitique ».

« Odeur de soufre »

Le SO2 possède une odeur caractéristique, appelée « odeur de soufre » qui limite son usage excessif.

Bloqueur des aldéhydes

En l’absence de SO2 libre, l’éthanal des vins issus de la fermentation alcoolique et/ou de l’oxydation de l’alcool manifeste son odeur spécifique d' »évent », de pomme trop mûre, « d’oxydation »…désagréable et rédhibitoire pour la quasi-totalité des vins.

Remarque : Cette nécessité de bloquer les aldéhydes explique l’impossibilité pratique d’élaborer des « vins sans SO2 ».

Quel est l’impact du terroir et du vigneron sur la présence de soufre dans le vin ?

Les composés soufrés volatils étant réducteurs, il faut trouver un juste équilibre pour éviter les phénomènes réductifs tout en conservant le potentiel aromatique. Ce travail préventif intervient de la récolte jusqu’à l’embouteillage. Il s’agit de maîtriser deux phénomènes liés :

  • La dissolution de l’oxygène dans le moût ou dans le vin.
  • L’oxydation, qui entraîne des réactions chimiques impactant le potentiel aromatique du vin.

Il faut donc cibler les phases de réduction potentielle et limiter les facteurs d’origine. Ainsi toutes les opérations de manipulation, transfert, doivent être pensées pour maîtriser les contacts liquide/oxygène. Cependant les facteurs d’origine sont nombreux et si certains sont facilement maîtrisables, d’autres le sont moins et entraînent un contrôle difficile voire imprécis.

Influence du climat

Le climat présente une variabilité inter-régionale comme intrarégionale importante et chaque millésime peut être qualifié en fonction des températures et des précipitations pendant le cycle végétatif d’avril à septembre.

Influence des pratiques viticoles

Les terroirs, l’alimentation en eau, la proportion feuille/raisin, l’effeuillage ou d’autres pratiques influent directement sur la densité de précurseurs soufrés. Mais le premier facteur est la qualité sanitaire des raisins (la pourriture grise a un effet néfaste important par exemple).

Influence du cuivre

On retrouve du cuivre dans tous les végétaux et donc dans la vigne à l’état de trace. Il est un catalyseur indispensable aux réactions du métabolisme. Cependant, sa réactivité vis à vis du soufre est importante. Aussi l’utilisation tardive de fongicide à base de cuivre à un réel impact. Et les vins qui présentent la plus grande quantité de cuivre dans le moût sont généralement les moins aromatiques.

Influence de la date de récolte

Les raisins possèdent un optimum de maturité. Avant ça, les raisins présentent un déséquilibre sucre/acide très important et au-delà, l’altération des raisins est manifeste, quel que soit le millésime.

Macération pré-fermentaire

Les précurseurs de composés soufrés sont retrouvés pour plus de la moitié dans la pellicule du raisin. C’est pourquoi des techniques de macération pré-fermentaires ont vu le jour. Elles ont pour but d’extraire et de protéger les précurseurs mais elles ne sont pas sélectives. On peut extraire le bon mais également l’amertume, l’astringence, les arômes de raisins verts, les odeurs de moisi et de terre des raisins altérés. Cette pratique se justifie uniquement sur les raisins sélectionnés, sains, de maturité parfaite.

Action des levures

Le choix de la levure est un critère important. Entre son aptitude à fermenter le moût et sa capacité à révéler les thiols, l’utilisation d’une souche ou d’une autre pour un même itinéraire de vinification peut aller jusqu’à doubler la concentration de composés soufrés.

Comment peut-on rééquilibrer un vin réduit ?

En cas de déséquilibre réductif, la qualité du vin peut souvent s’améliorer et retrouver sa qualité originelle. Il suffit pour cela d’une simple aération, ou un traitement au cuivre.

En cours de vinification

En cours de vinification, une aération par remontage ou micro-oxygénation peut suffire si les composés soufrés ne sont pas trop nombreux. La réalisation d’un remontage avec passage sur une plaque de cuivre a longtemps été utilisé. Mais il est aujourd’hui déconseillé : il décharne le vin et le rend amer avec un arrière-goût métallique et un risque de casse cuivreuse.

Lors de l’élevage ou à la mise en bouteille

Lors de l’élevage ou à la mise en bouteille, un cliquage à l’oxygène peut permettre de prévenir ou de corriger des caractères de réduction bien que la méthode comporte des risques si elle n’est pas totalement maîtrisée.

En bouteille

Lorsque la réduction apparaît en bouteille, l’oxygénation par le bouchon est la seule solution. Cette phase réductrice après la mise en bouteille est fréquente. Sa disparition par transfert d’oxygène via le bouchon peut être plus ou moins longue (quelques semaines à plusieurs années).

A la consommation

Lorsque la réduction est présente à la dégustation, il faut aérer le vin. Le besoin sera fonction du degré de réduction, et la rapidité de la réaction oxydative sera liée à taille de la surface d’échange entre l’air et le vin.

Aussi l’aération peut se faire de manière empirique en ouvrant la bouteille à l’avance, en secouant le vin ou en le carafant (ou double carafant). Mais également de manière précise et contrôlée en utilisant l’aérateur connecté Aveine.

Quel est l’impact du soufre sur la santé ?

Le soufre est un intrant essentiel dans le vin, puisqu’à l’heure actuelle aucun additif œnologique ne peut le remplacer en intégralité. Mais c’est un produit dangereux pour les utilisateurs (avec une toxicité variable selon la dose et les individus) qui présente des risques par inhalation et/ou ingestion.

SO2 inhalé

Dans la pratique viticole, il ne faut pas sous-estimer les risques d’accidents graves par exposition ponctuelle à des teneurs très élevées pouvant aller jusqu’à la cécité, voire la mort. Les risques sont faibles mais leur gravité extrême.

SO2 ingéré

Le vin constitue la principale source de SO2 dans l’alimentation « moyenne ». La toxicité aigüe définie est à peu près identique à celle du sel de cuisine ou du bicarbonate de sodium, soit la catégorie des produits « dangereux – peu dangereux » selon la classification de l’OMS.

Effets physiologiques

Aucune étude connue à ce jour n’a montré d’effet tératogène ou cancérigène du soufre. Mais une diminution de l’activité allergisante de l’histamine a été observée. Cependant des concentrations élevées (considérées comme surdosage ou non) peuvent provoquer de multiples manifestations d’intolérances : nez qui coule, démangeaisons, troubles de la respiration, problèmes de peau, troubles digestifs, crampes, fatigue etc… le SO2 n’induit pas la formation des immunoglobulines caractéristiques des allergies et il est rapidement transformé en sulfates non toxiques. L’organisme métabolise chaque jour l’ensemble des composés soufrés, sauf pour les personnes carencées en sulfite-oxydases (environ 1/100 000).

Dans un rapport récent, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) indique que 3% des adultes dépassent la dose journalière admissible de sulfites fixée par l’OMS (0,7 mg par kg de poids par jour). Et ce « principalement en raison de la consommation de vin« , lequel représente environ 70% de nos apports en sulfites à lui seul.

Certains consommateurs ont décidé d’éviter les sulfites, potentiels résidus de pesticides ou d’autres intrants en se tournant vers les vins dits naturels. Ils sont issus de cultures biologiques et vinifiés naturellement, sans avoir recours aux additifs chimiques. Ces vins contiennent une quantité très faible de sulfites.

La loi européenne impose aux vignerons d’ajouter la mention « contient des sulfites » sur tous les vins contenant plus de 10 mg/l de dioxyde de soufre, donc quasiment tous. Voici un tableau récapitulatif des doses maximales autorisées de sulfites par type de vin :

tableau récapitulatif des doses maximales autorisées de sulfites par type de vin

Conclusion

Comme nous avons pu le voir, le soufre est un élément dont la présence est récurrente et presque impossible à évier dans le vin. Les évolutions techniques permettent de trouver des procédés qui permettraient de s’en passer. Ceci nous montre que le monde du vin qui semble si ancré dans les traditions est en perpétuelle évolution.

[1] « Vénérable nourrice, apporte-moi du soufre, ce remède de tous les maux ; apporte-moi aussi du feu pour purifier ma demeure. Tu engageras Pénélope à descendre ici avec toutes les femmes qui la servent, et tu ordonneras aux autres esclaves du palais de se rendre dans cette salle. »

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